dimanche 22 septembre 2013

Mozart, Rachmaninoff et Weill

comme suintant d'Europe en tragique guirlande (1) si n'était ce final ouvrant l'espoir...


Cherchant quelle était cette chanson de Kurt Weill vraisemblablement connue en 1ères pièces de Brecht présentées au théâtre des Nations, bien plus tard,  au début des années 60. Pas " l'Opéra d'4 sous", pas "la chanson de Mackie le Surineur", pas "la fiancée du pirate"... Mais on est dans ce registre tant apprécié.... 

Chris Hayward nous dira que le texte  n'est pas adapté au jeune public... Mais qu'importe, il n'est pas écrit ni traduit  et son contenu ne peut être imaginé que par ceux qui l'ont connu et, qui, de guerre en guerres,  en ont vu bien d'autres...

Texte d'avant la fossilisation du Berliner. "Mahagonny" ? "Dans la jungle des villes"?
A voir,  en jungle d'Europe,  où s'entrechokent peuples et langues et pire.

Pas "Petrouchka" ce soir, pas non plus le "Sacre du printemps",  même dansé par Pina Bausch en Wuppertal...
.
L'incompréhensibilité de ce langage précipité renvoie à bien pire.
Un pire que désignent l'oubli de Rachmaninoff et l'âpreté expressioniste  de Kurt Weill.

Et cette langue de l'incompréhension - de l'incompréhension pouvant peut-être se surmonter par les arts et la danse.
Le mime et un comique grinçant en tendre dérision pour tous.

Une création qui, parlant vrai de ce monde inquiétant qu'elle distancie, a séduit le public des plus au moins jeunes.


Quand on offre la qualité aux gens, ils se ne s'y trompent, se sentant respectés ; et s'interrogent...

Et là il se sent d'évidence combien l'art est moyen de connaissance - ce qui ne l'empêche pas d'être aussi pourvoyeur de créativité, de plaisir et convivialité - pour tous âges...



Bref en cherchant à identifier une chanson aimée de Kurt Weil, une interpellation :

"- C'est vous la dame qui écrivait ?/
- ? Bin dans sites et blogs, j'fais des articles...(2)
-  Oui, j'ai donné un spectacle ici, vous m'aviez interwievé.
- Et ce que j'ai écrit vous convenait ?
- Oh oui !" (3)


L'auteur de cette interpellation se présente "Alain Reynaud"(4)
L'article retrouvé en page  Bibliothèque/Apports  du site, "Voyage sur place"
"Théâtre des Ateliers d’Aix-en-Provence, Compagnie Les Nouveaux Nez de Bourg Saint Andéol. Texte et interprétation Alain Reynaud. Adaptation, mise en scène et interprétation Alain Simon.
Voyage en souvenir avec des mots datés et localisés qui transpirent l’essentiel d’une époque et d’un lieu précis. Une localisation et une datation qui, dans leur précision et leur authenticité, atteignent l’universel et où les non-dits évoqués témoignent aussi."

Alain Reynaud était auteur du texte et interprète. (Au fait, y a-t-il eu publication ?) 
Aujourd'hui, il est metteur en scène. Travaille avec toute une équipe pour cette co-production Compagnie Adroite Gauche/Théâtre Gérard Philipe de Champigny-sur-Marne.
Trois acteurs/artistes : Isabelle Quinette, danseuse, Nathalie Cornevin, harpiste, Chris Hayward, flûtiste.
Résidence "La Cascade", Bourg-Saint-Andéol




Montée de danseuse qui renvoie à la possible sortie d'impasse de ces peuples ,?


Décidément où passe Alain  Reynaud le langage s'interroge, se date et se localise pour mieux s'universaliser... 
Ici ce langage rapide, incompréhensible, semblant venir d'Europe de l'Est ou du centre, brouillé, bousculé, souffrant mais se frayant peu à peu une voix ou voie par la danse, la jeunesse, la détermination... Et puis il y a d'autres langages du corps, de la gestuelle et musicaux. Extraordinaires performances d'artistes ! 

Musicaux certes avec les excellents artistes que sont Nathalie Cornevin et Chris Hayward - jouant, mais détournant les usages... Quand la flûte devient bâton, index ou sarbacane... d'autres langages s'inventent comme outils de communication oscillant entre clandestinité et universalité...Inventivité pour déconstruction/reconstruction d'une identité ouverte,  valorisant le positif des diverses cultures et s'enrichissant de nouveaux métissages comme de ce mélange des divers langages que le numérique peut rendre accessibles à tous ?  Pour peu que tous interviennent...

Et ces bruits de corps, bruits de corps sculptés, travaillés...De plus en plus parlants. Un immense travail de Chris Hayward.  Interrogeant une animalité en l'homme qui varie avec les circonstances, et, notamment, la nature des relations humaines...



Où on retrouve aussi la problématique de la Biennale d'Art Contemporain de Lyon, la transmission - y compris, par le Net, pour les artistes du monde - d'une esthétique de la création à une esthétique de la réception. 



Narration polysémique, dense, ouverte,  enrichissant le public dans toutes ses composantes et initiant une réflexion qui, vu les ingédients offerts à tous, devrait se poursuivre dans la durée.




Félicitations et remerciements pour leur exigence de qualité, à Jean-Luc Gerhardt et aux équipes intercommunale et technique sans lesquelles rien ne serait... Un travail pour les jeunes dont il faudrait suivre au fil des ans les incidences sur les apprentissages scolaires et poursuites d'études. Un facteur de mobilité sociale...






J.C.
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1. Cf Gödel, Escher, Bach : Les Brins d'une Guirlande Éternelle (1979)
2. Le reste étant d'une autre vie, liée au professionnel ou au militantisme pédagogique... Avec des passerelles comme ce stage national "Arts et poésie à l'école" organisé à Vénéjan, en Centre aéré de Bagnols-sur-Cèze, fin des années 90.
Où Jean-Pierre Siméon nous déclarait "La poésie, c'est comme des lunettes pour voir le monde"...
La poésie oui, ne peut-on élargir à l'art ?
3. Un retour qui fait plaisir, sûr.
On aimerait en avoir plus souvent en commentaires de blogs, même critiques...
Le débat fait toujours avancer...




dimanche 1 septembre 2013

L'île des faisans de Didier Tallagrand. Nouvelles approches...


Approche comme ça... A l'état brut... En suivant un chemin, en sachant qu'on ne trouvera rien...

Les filles ont balisé le chemin pour que Joan, s'il peut venir,  nous retrouve...



Et c'est d'une évidente logique,




De la modélisation à la conjonction et l'implication.
Beautés  de l'axiomatique... que souligne Lautréamont
dans son "éloge des mathématiques" : 
"Vous me donnâtes la logique, qui est comme l’âme elle-même de vos enseignements, pleins de sagesse, avec ses syllogismes, dont le labyrinthe compliqué n’en est que plus compréhensible, mon intelligence sentit s’accroître du double ses forces audacieuses. "

Ou
Zénon, cruel Zénon, Zénon d'Elée...
du nom d'un bateau-poème  - l'Eléate bien sûr !
Comme flèche au ras de l'eau d'un jour sans vent...
Achille juché sur tour Richelieu rouge comme robe de...
et devinant ces cimetières marins...
Lautréamont/Mallarmé/Valéry...
Kafka.
tels cadavre invasif d'Ionesco ou  Beckett en rue de la Huchette

Ou, ici,  la justification formelle "pour de rire"(1), ou mettre du jeu, mêlant, sans rigueur aucune, implication et appartenance, pour retomber, grâce à Gödel et son théorème de l'incomplétude, élaboré et utilisé dans l'unique champ de mathématiques avancées, sur ses  pieds, ceux  d'une évidence : "L'île des faisans" de Tallagrand, se refusant à toute cartographie et temporalisation  est et n'est pas,  "île des faisans"...  

L'oeuvre d'art, la création,  nécessairement en rupture  avec l'existant. Comme insularité complexe et compliquée, que les rives et digues, au lieu de protéger comme il se doit,  là, au contraire, auraient à contenir comme pour empêcher la liquéfaction et la disparition de l'île ou l'envahissement par l'île......

Et la question qui taraude de la force inexpliquée de cette planche d'images de "L'Ile des faisans"...

Un premier élément suite à des échanges avec Eliane sur d'insolites bâtiments dont des tags révèlent l'obsolescence. Ce à quoi Tallagrand répond que ces vieux bâtiments lui parlent.  Autre réponse ensuite d'un abrupt disproportionné à la question d'Eliane sur l'expression "archéologie industrielle"

Sauf ces bâtiments sur le chemin - une lumière, et, à Angle, une petite mais dense publication où se découvrent modestement une ou deux images inconnues venues des obscures profondeurs de la Bidassoa...






Toujours ne montrer que la partie émergée de l'iceberg.


Faire parler des mains dont l'appareil n'a pas capté le son ?
  
Dire l'immergé sans le dire...Sculpter l'absence du son...

Un grand pas dans l'appréhension de cette image dont la puissance métaphorique reste insaisissable...
La métaphore et la métonymie non applicables à l'image ?  Voir celles de l'"apaisement" ou de planches ressemblant à celles utilisées dans certains tests projectifs  comme le Rorschach





Suites d'une riche sortie...







Pique-nique champêtre en cadre agréable et décontracté, et puis traversée d'un centre ville/village accueillant et découverte de la galerie Angle-Art contemporain... 


Accueil  par   Stéphanie Lehu, chargée de mission - Bac+5 obligé... 
Une jeune femme rencontrée lors d'une journée bi-départementale sur la médiation à Montélimar, à laquelle nous participions avec Robert Combe


Salles, étages, escalier, bibliothèque, très pédagogique et intéressante... Cadre agréable... Et le plaisir d'être guidé par les explications, la connaissance des oeuvres et de l'histoire de l'art de Didier Tallagrand.



Passage de l'Ile des faisans à Angle-Art contemporain...



Non sans difficultés...




Île des faisans qu'on ne quitte si facilement




Pourtant une découverte en Bibliothèque...



Echanges, photos, retours sur certaines oeuvres comme un très bel Ubac...Intérêt pour les jeunes de la lanterne magique dont le fonctionnement est expliqué... Invasion de la galerie par un groupe relativement nombreux.... Il en passe de tous les côtés et ça questionne, et ça regarde et prend la Doc et apprécie la Bibliothèque...


Beaucoup d'oeuvres et des belles. Des oeuvres majeures d'artistes peu connus, Des oeuvres plus classiques d'artistes très connus... Un magnifique Ernest Pignon-Ernest, des Fromanger.... Bram Van Velde... Beaucoup d'oeuvres où le visuel entrelace image et texte - un Butor notamment et les Parant.

Un accrochage bien conçu dont la planification a dû demander un  temps certain ...

Il vous reste jusqu'au 15 septembre pour aller voir l'exposition à Saint-Paul Trois Châteaux - mercredi, jeudi, vendredi de 15 à 19h.




Et toujours l'île aux faisans et la prégnance inexpliquée d'une image,  incomplètement justifiée par la seule archéologie industrielle...



Celle-ci


Retour sur  Jorge Luis Borges, "L'art de la poésie".
Philosophie et poésie.  Réflexions sur modèles de métaphores... dont dans les "laissés de côté",  "le temps et les fleuves".  Et là, l'insight,  et une nouvelle validation pour les amis de la fac d'Aix et leurs recherches sur la re-mémoration.  Temps oui, fleuve non, OCEAN!

Archéologie industrielle ? Sans doute ! Mais plus précisément et plus profondément, vestiges industriels et maritimes de la guerre ; ces grands bateaux échoués sur la p(l)age de Sablanceaux dans l'ile de Ré où certains pêchaient à marée basse, que d'autres exploraient à marée montante, d'un pont à l'autre, d'une cale à l'autre, sans masque ni lunettes de plongée... Ce vert-jaune glauque  c'est ce qu'on voyait quand un rayon de soleil perçait la profondeur de l'eau où on cherchait  à "visiter" ou retrouver la sortie de ces énormes épaves  au ventre compartimenté. Des épaves qui n'ont été enlevées que bien des années ou décennies après, regrettées par les habitués, occasionnels ou non...(2)

Polysémie et force d'une oeuvre qui parle et fait chercher l'origine de l'écho, au tréfond de l'enfance ou, là, de la pré-adolescence.. Qualité exceptionnelle d'une oeuvre,  lisible dans cette. puissance métaphorique  que chacun ne peut décrypter  qu'à partir de son expérience et de ses lectures...

Ou plutôt de ses expériences, lectures, de sa culture cinématographique...

Nous reviendrons sur la mutiplicité des lectures que suscite cet étrange visuel où l'image n'illustre le texte, où le texte, succint,  n'explicite l'image...  Mais où ils ouvrent, brouillent les pistes, suscitant de l'intérieur de cette oeuvre différente de l'habituel livre d'artiste - inédite, composite et complexe -prolongements, transpositions et réflexions... Une esthétique de la réception non pas accessoire mais interne à l'oeuvre, comme  dans ce jeu de cartes réalisé d'ici. 

Des entrelacs de lectures alphabétiques, logographiques et visuelles, linéaires ou métaphoriques, logiques, historiques, érotiques, poétiques, esthétiques, psychanalytiques, sociales, éthiques, militantes, comme fils en réseaux qui se tirent ou se tissent...

Une lecture jungienne, une approche d'archétypes, certes, mais d'autres lectures sont possibles...

Un exemple  ? De "de nager sous l'eau en bateau échoué"  aux origines de la vie au fond des océans... ou in-utéro... De là au statut de la femme, les avortements à la sonde  d'avant la pilule et l'IVG et les condamnations à mort qui s'en sont suivies en certains pays... Qui sans doute s'en suivent encore... Leurs conséquences aussi, sur le désir, la sexualité, féminine et masculine... 
Sans oublier les Magdalenes Sisters qu'ont fait connaître cinéma et théâtre (Une pièce très forte à Valence, à la fabrique, il y a quelques années...) 
... Et peut-être certaines pratiques, plus proches, en moulinages ? 

Des questions largement soulevées par les jeunes artistes exposés à la Biennale de Lyon,  avec, notamment, ce bateau du commerce triangulaire en église Saint-Just, peuplé de poupées Barbie. Parenté à questionner entre le traitement  fait aux esclaves et l'intériorisation par les jeunes enfants d'aujourd'hui, d'un modèle de corps humain désincarné et des rôles sociaux qui lui correspondent.



Le bateau d'esclaves de Barbie de Tom Sachs
 Ces siècles où on a vidé l'Afrique de ses forces vives, quand, dit l'artiste,
l'Amérique avait besoin de main-d'oeure.......


L'échange de "princesses" sur la Bidassoa, n'est-il, par delà les égards dûs à leur rang, du même ordre. ? Le femme-génitrice pouvant assurer la pérennité de la paix par les liens familiaux créés par une descendance, d'abord masculine, bien sûr... Où on n'est pas loin de l'étude des liens de parenté  structurant les sociétés dites "primitives" de la première moitié du 20ème siècle...


Bref, ce ne sont pas tant ces contenus que leur diversité, leur complexité, la géomètrie variable de leurs liens, qui posent ces oeuvres, comme visuel  en forme de livret ou de livret en forme de visuel. Dont le temps est banni  par le non-récit comme en "Vertigo" ou "la Jetée" de  Chris Marker...

Deux pistes à explorer à partir de là,  celle de la multiplicité de métanarrations possibles, frisant éventuellement l'idéologie,   et celle de cette polysémie à n dimensions (3) qui fait considérablement avancer, d'un coup, la représentation et la compréhension de la spécificité de l'écriture numérique, même livrée papier, par rapport à l'écriture alphabétique y compris poétique...

Une affaire à creuser, notamment à partir de "Que nuages !" (4), un autre  de ces hybrides...


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1. Evidemment, on ne peut sérieusement détourner un concept de son champ d'élaboration pour le faire fonctionner de manière scientifique dans un autre domaine. Cf la critique que fait Jacques Bouveresse du détournement effectué du théorème de Gödel par  Régis Debray, du champ des mathématiques à celui de la sociologie. Mais le détournement est tellement gros quand on passe du domaine scientifique au domaine artistique  qu'il fonctionne  plutôt en témoin de cette impossibilité, marqueur de la disconituité, de la rupture,  de l'hétérogénéité (mais aussi de la complémentarité) entre  ces deux domaines de connaissance er d'action... Un outil d'aide au  déclenchement de la sérendipité ? (Qui rejoint un peu - là aussi prendre toutes précautions utiles - ce qu'on appelait la "pensée divergente" avec toutes ses dérives - légitimes ou illégitimes...) Et puis un hommage à Escher...

2. A noter que sur la plage de la Grande Conche, à l'ouest de l'île, les blockauss sont toujours là, magnifiques, fantomatiques et brillants de mouillé, toujours sources d'émotion, quand vous sortez de l'eau sous la pluie fine d'un soir d'été... D'autres blockhauss n'ont-ils été lieux de jeux de l'enfance ? Question subsidiare : nettoyer - ou aseptiser -  le paysage ? Faut-il priver un peuple du mobilier de sa memoire ?  Et la transmission ? Quand une oeuvre d'art permettra-t-elle de faire son deuil de ces maisons éventrées de l'enfance, de ces culottes et autres vêtements ou objets dans les arbres de l'avenue Coligny à La Rochelle ou du front de mer à Royan, tellement bombardés.  D'où autre question subsidiaire  suscitée ainsi par une simple couleur et ces transparences de Tallagrand : quand en finira-t-on avec les bombardements et autres pratiques guerrières sur cette planète ? Et autres archaïsmes ? Voir l'humain, le social... Ne pas sousestimer les dimensions écologiques..."Quel héritage laissons-nous ? " Une question que semble poser "l'île des faisans" à une époque où les arrangements royaux tueurs de peintre, devraient avoir fait place aux nécessités d'une cohabitation chaleureuse et fructueuse de tous...

3. Cette extrapolation s'apparentant à la "métanarration" ? Ou à la métacognition ?  

4. Une autre des ces oeuvres hybrides réalisées par D.Tallagrand